Le Président F.Tshisekedi adoubé aux USA : Entre la validation et l’instrumentalisation

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Indubitablement, et  considéré dans son ensemble, le séjour du Président F. Tshisekedi à Washington est jugé fructueux et prometteur. Il a réussi à articuler les lignes maitresses des secteurs dans lesquels il envisage une chaleureuse relance de la coopération entre les deux pays.  La bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, la gestion responsable des ressources naturelles et la sécurité à l’Est de la RDC sont des préoccupations saillantes. Les autorités américaines, du Département d’Etat en passant par le Congrès et le Pentagone jusqu’à la Maison Blanche, ont apprécié la présentation cohérente de ces repères. Une remarquable performance pour un président qui n’a que deux mois d’expérience à la tête d’un pays sous-continent – encore en trépidations pos-électorales. Avec le rituel de 21 coups de canon, symbolisant le plus grand honneur américain à un chef d’Etat étranger, les USA ont validé le pouvoir de Félix Tshisekedi Tshilombo comme Chef d’Etat d’une nation amie.

Cependant, le décryptage de la narrative politique du Chef de l’Etat Congolais face aux interlocuteurs américains et aux experts du Council for Foreign Relations, a vite révélé  une ambivalence idéique face aux origines de sa propre élection et au regard du contexte de dualité politique au sommet de la RDC.  Tout en étalant un remarquable courage, en qualifiant les sanctions américaines de paradoxales et inopérantes, l’ancien leader de l’opposition radicale a publiquement taxé le régime ayant organisé les élections qui ont abouti à son ascension au pouvoir, par une passation civilisée de pouvoir, de «régime dictatorial à déboulonner ». Propos aux effets sismiques à Kinshasa. Ils ont courroucé ceux que le nouveau président avait lui-même appelés ses «partenaires de l’alternance». Dans certaines officines politiques de Kinshasa l’ébahissement à produit la douleur et l’humiliation d’un coup de poignard dans le dos.

Mais, ne tombons pas dans le piège de l’émotivité et des susceptibilités politiciennes. L’intellectualité parrésiaste (au sens de Michel Foucault) élucide le sens de la discursivité politique par l’herméneutique structuraliste. C’est-à-dire qu’il est plus véridique de décrypter ces propos en prenant en compte l’identité  du communicant, le contexte et les enjeux. C’est pourquoi il est proposé ici un examen de ces assertions (jugées traitresses) entre le repère d’une compréhensible adoption américaine et la périlleuse instrumentalisation politique du nouveau président par des forces tant Congolaises qu’américaines.

  1. REVIREMENT ET REPETITION DE L’HISTOIRE : JOSEPH KABILA FUT AUSSI ADOPTE AVEC LA MEME FERVEUR

Entretenant des relations relativement soudées avec les Démocrates, l’UDPS  fut rechignée (si pas marginalisée) par l’Establishment républicain qui valide son pouvoir aujourd’hui sur l’échiquier politique international.  Pendant la phase de sa lutte la plus radicale, en matière de politique étrangère l’UDPS distillait aussi la narration présentant les américains comme étant les impérialistes soutenant la balkanisation de la RDC. Sur ce registre, Washington était accusé de rejeter  le Dr. Etienne Tshisekedi, un nationaliste dont le blocage de l’ascension au pouvoir était une machination américaine. Par ailleurs, Il est indéniable que les représentants de l’UDPS aux USA avaient principalement des entrées auprès des Démocrates. Mais, c’est surtout grâce aux puissants lobbyistes de Moise Katumbi que le parti du nouveau président a su y étendre ses tentacules. Aujourd’hui l’UDPS est réaliste. Face au rejet par les Européens, l’adoption américaine est une perche à très haute portée et valeur ajoutée politico-diplomatique mondiale.

Force est de souligner que ce revirement reflète aussi l’évolution très spectaculaire de la position Américaine vis-à-vis de l’élection du Président F.Tshisekedi. Selon une enquête réalisée par le très respecté journal Foreign Policy (Février 1, 2019), après l’annonce des résultats électoraux en RDC, des réunions marathons furent organisées avec la participation des conseillers stratégiques du Conseil National de Sécurité, du Ministère de la Défense, de l’USAID, du Ministère du Trésor Américain et du Département d’Etat. Tibor Nagy et Peter Pham ainsi que Cyril Sartor (un ancien officier de la CIA aujourd’hui conseiller du Président Trump en politique Africaine), y avaient pris part. Dans un premier temps, il était question de condamner ces élections comme étant profondément déficientes et troublantes («deeply flawed and troubling »). Ce processus fut réalisé en conjonction avec le stratégiste en chef de la politique étrangère de l’Union Européenne, Federica Mogherini, et même l’Union Africaine. A en croire Robbie  Gramer et Jefcoate O’Donnell qui ont mené cette investigation, la plupart de ces stratégistes ont été surpris d’entendre le communiqué du Département d’Etat endossant la victoire du candidat Félix Tshisekedi Tshilombo. Certes, la victoire de Félix Tshisekedi repose sur des données sociopolitiques indubitables. Mais, la position américaine initiale était celle du rejet.

Selon les investigateurs du Foreign Policy, c’est l’actuel Ambassadeur Américain en RDC Michael Hammer et Michael McKinley (conseiller de Pompeo) qui ont joué un rôle décisif dans la reconnaissance de la victoire électorale de Félix Tshisekedi. Ils ont aussi actionné l’engrainage diplomatique dont l’aboutissement est le couronnement de Washington. Selon plusieurs analystes, c’est le pragmatisme des républicains en faveur de la paix et la stabilité en RDC qui a triomphé au détriment d’un idéalisme qui aurait plongé ce pays dans le chaos. Le Pentagone évite un autre foyer d’embrasement en Afrique où la déflagration terroriste dans le Sahel est déroutante. Bien plus, les réalistes de la politique étrangère africaine des USA, surtout les diplomates conservateurs comme Peter Pham (dont la doctrine pro-économique est notoire) et Tibor Nagy, voudraient repositionner les USA en RDC. La visée est d’y enclencher une poussée industrielle et technologique capable d‘avoir un impact tangible sur toute l’Afrique. Cela grâce au fonds de développement de l’Afrique de $60 milliards créé par le Congrès pour consolider les USA en Afrique où le néo-impérialisme Chinois s’est enraciné. Dans cette stratégie, tous les experts américains sont unanimes : aucun autre pays Africain ne présente les atouts qu’offre la RDC dans le triptyque eau, terre arable et minerais (la CIA l’avait déjà prédit dans sa projection sur l’Etat du Monde en 2025. Voire aussi mon ouvrage Joseph Kabila et la Reconstruction Réinventrice du Congo : Défis et Prospective).

Il est d’une importance capitale de souligner que l’invitation et l’adoption effervescente du Président F. Tshisekedi n’est pas un événement unique en son genre. Dès sa prise de pouvoir en 2001, le Président Kabila fut aussi invité et adopté par les Républicains. En 2003, il fut reçu en pompe à la Maison Blanche par le Président George W. Bush.  Celui-ci félicita même son homologue Congolais en notant l’efficacité de son leadership, ses efforts pour la réconciliation, la sécurité et la lutte contre la corruption et contre les abus des droits de l’homme, ainsi que les initiatives pour l’organisation des élections. Comme aujourd’hui encore, le renouement avec le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale fut aussi au menu (Jet, Novembre 2003, p.8). Mais, les contradictions des intérêts firent refroidir ces relations.

  • PROJETS STRATEGIQUES CONCRETS ET PERILS DE L’INSTRUMENTALISATION POLITIQUE

Malgré la position accusative de l’UDPS contre les américains et en dépit des contradictions de Washington sur l’élection de Félix Tshisekedi, l’adoption dont celui a bénéficié apparait comme un conditionnement (…et non une prise en otage). En d’autres termes, les Américains savent au fond d’eux-mêmes qu’ils l’ont accepté malgré leur doute sur son élection, pour favoriser la paix et la stabilité de la RDC. Cela dans le but de réaliser leurs fins stratégiques en Afrique. Lorsque le Secrétaire d’Etat Pompeo déclare qu’il voit l’année 2019 comme l’année de la RDC, c’est sur base des projections stratégiques existantes. The Atlantic et Bloomberg voyaient déjà en 2015 la RDC parmi les cinq pays émergents dans le monde. Dans tous les scenarios d’une intervention économique d’impacte à haute amplitude sur l’Afrique, les experts notent que les principales puissances Africaines notamment l’Egypte, le Nigeria et l’Afrique du Sud sont très limitées en principales ressources stratégiques : les terres arables, les sources énergétiques et les matières premières. Enclencher un développement industriel et une sécurisation militaire accrue en RDC auraient dont un effet irradiant et irriguant sur le reste du continent.

A cet égard, si le Président Félix Tshilombo a réussi à présenter les préoccupations saillantes citées ci-haut, il n’a pas mis sur la table des projets stratégiques concrets. Pourtant, les experts en développement économique américains voient, eux, la diversification de l’économie Congolaise par la benéficiation et la densification industrielle grâce aux Zones Economiques Spéciales. Celles-ci permettraient aux entreprises américaines, en joint-venture avec les businessmen congolais, de fabriquer les produits semi-finis et les produits finis, à partir des minerais Congolais. Ces produits pourront être directement vendus aux industriels et consommateurs américains aux coûts moins élevés (élimination des coûts de transport des matières premières vers la Chine pour la transformation et ensuite le cheminement vers les USA). 

Sur le même registre, l’absence des experts militaires Congolais et surtout une allusion superficielle de la problématique sécuritaire sans projet concret est préoccupante. Dans la situation actuelle, il aurait été  prudent d’être proactif en présentant un projet urgent d’armement stratégique efficient et surtout le projet des bases militaires congolaises modernes. Celles-ci peuvent permettre des interventions ponctuelles sur tout le territoire, dans le cadre de la contreinsurgence contre les forces négatives résiduelles à l’Est de la RDC et aussi l’anticipation sur d’autres menaces contre une économie émergente. Il s’agit notamment de la guerre de l’eau, les menaces terroristes contre les zones économiques spéciales et le Grand Inga. Mais, en toute entreprise de cette portée, il faut un début. Le Président F.Tshisekedi a amorcé une démarche qu’il faut enrichir par sa réintégration dans une vision de développement global de la RDC et avec des projets structurants liés à l’objectif du Congo Emergent.

Cependant, ayant fait preuve de nationalisme en pointant du doigt le caractère paradoxal et inopérant des sanctions contre les autorités électorales, le Président F. Tshisekedi a déclaré qu’il s’emploierait « à déboulonner la dictature en RDC ». Il est libre de s’exprimer. Mais, comme Chef de l’Etat élu et porté au sommet de l’Etat (avec 38 % de votes) dans un contexte qui est si fragile, la raison d’Etat et le même patriotisme, lui suggèrent d’être plus subtile dans sa communication politique. Il aurait, par exemple, pu parler d’améliorer la démocratie congolaise naissante. Mais, affirmer que la RDC est une dictature qu’il va déboulonner pose problème à la foi en termes de la véracité de ses propos et des frustrations politiques (légitimes) de ses partenaires de la coalition CACH-FCC. En effet, aucune dictature n’organise les élections pluraliste, en acceptant la victoire de l’opposition et en transférant le pouvoir pacifiquement à son leader.

Mais, il faut comprendre le nouveau président. Il a encore le reflexe d’un leader de l’opposition et n’a pas  encore accomplit la plénitude de «l’élévation idéologique en leadership d’Etat». Par ailleurs, il subit des pressions intenses et complexes de certains revanchards qui voudraient régler les comptes au régime de Joseph Kabila. Dans ce contexte, sachant que le FCC est constitutionnellement et politiquement puissant, certains opportunistes voudraient amener le président dans la logique d’une instrumentalisation du soutien américain. En réalité, leur visée n’est pas de « déboulonner la dictature » mais d‘éliminer la supposée prise en otage du nouveau chef de l’Etat par le pouvoir invisible de Joseph Kabila. Une obsession. C’est un terrain extrêmement dangereux. Aucun groupe n’en sortira vainqueur, en cas de déflagration sociopolitique. Les Américains eux-mêmes le savent.

CONCLUSION

LE PRESIDENT F. TSHISEKEDI PEUT CATAPULTER LA RDC VERS L’EMERGENCE : MAIS IL FAUT PRIMORDIALEMENT PROTEGER LA COHESION NATIONALE

Les Congolais qui sont des fervents chrétiens savent que Dieu fait toute chose bonne en son temps. L’histoire et la dialectique sociétale (le mouvement de la société par la négation de la négation dans le prisme du matérialisme dialectique) a ordonné les circonstances pour l’élection de Félix Tshisekedi Tshilombo le 30 Décembre 2018. Donc, il a une double mission spirito-rationnelle de catapulter la RDC vers une autre strate supérieure de son progrès. Il doit se concentrer sur cette mission. Dans un contexte où il n’a été élu qu’avec 38 % (une légitimité minimale), dans un climat d’ambigüité et de dualité politique au sommet de l’Etat, sans majorité parlementaire, avec une opposition très farouche animée par Lamuka, il devrait être prudent et promouvoir la cohésion nationale. Le Dr. Samuel Huntington souligne, dans le paradigme de la Troisième Vague de la Démocratisation, que le plus grand défis dans la fragilité d’une démocratie embryonnaire, c’est la réalisation de la cohésion entre les élites politiques. La force de la démocratie s’évalue aussi par sa résistance aux intempéries de l’alternance au pouvoir.

Ne tombons pas dans la répétition tragique de l’histoire. En 1960, Kasavubu usa du soutien occidental pour évincer Lumumba. La dualité politique déboucha sur une catastrophe. Mobutu abusa du soutien américain pour construire un système semi-totalitaire. Aujourd’hui encore dans la dualité politique plus fragile, ceux qui entendent monter le Président Félix Tshisekedi contre le Président Honoraire Joseph Kabila, en prétextant qu’il est un dangereux dictateur à éliminer, veulent ruiner la RDC. La vérité historique, porteuse de tangibilité scientifique, est que Joseph Kabila a donné à la RDC la démocratie à partir d’un Etat effondré qu’il a trouvé en dislocation en 2001 (l’Etat coquille selon le Professeur Emérite Crawford Young). Le régime Kabila a régénéré l’économie qui était en ruines abyssales. Les finances publiques améliorées ont couvert les élections pour $500 millions en laissant le trésor fécond au point de couvrir un programme urgent de 100 jours pour $380 millions ! Aucun pays africain de la région n’a réalisé une telle prouesse. Certes, la RDC n’est pas le paradis. Mais Joseph Kabila a laissé au Président F.Tshisekedi une RDC en meilleur état qu’en 2001. La RDC est une démocratie que l’on doit parfaire et consolider. La mission du Président F. Tshisekedi n’est pas de déboulonner une dictature qui n’existe pas, mais de déployer son géni politique préparé pendant les années de l’opposition pour propulser la RDC vers l’émergence en 2030.

Hubert Kabasu Babu Katulondi (Libre-penseur et ecrivain).

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