Au soir du 19 juillet 2018, suivant une tradition républicaine héritée du droit politique américain et inscrite dans la Constitution du 18 février 2006, le Président de la République, Chef de l’Etat, s’est présenté devant le deux Chambres du Parlement réunies en Congrès, pour, une fois de plus, prononcer son discours annuel sur l’état de la Nation.
Il n’y est pas allé pour proclamer l’état d’urgence ou l’état de siège, auquel cas, par un message, il se serait directement adressé à la Nation sans passer par les Chambres, après concertation avec qui de droit.
Il Y est allé, en tant que Chef de l’Etat, Représentant de la Nation et Symbole de l’unité nationale, pour se soumettre au rituel du discours sur l’état de la Nation. N’est-il pas le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale!
Des Pères de notre indépendance aux Sages de tous les âges, Constituant et Législateur compris, tous nous ont, à leur tour, légué en héritage cette voix: «Congolais de toutes les générations, ceci sera pour le Président de la République un exercice républicain de chaque année! L’exercice, aujourd’hui consigné en l’article 77, alinéa 3 de notre Loi fondamentale, procède autant de la morale institutionnelle que du principe universel de la « redevabilité » reçu comme règle d’or dans la plupart des Nations civilisées.
Nul, s’écrie le Patriote, n’a le droit de confondre l’orientation et la portée de pareil discours avec celles des différents messages que le Président de la République peut adresser à la Nation autant de fois que de besoin, sur des sujets pouvant porter sur tout, y compris sur sa carrière politique; messages qui sont également prévus par la même Constitution, au même article, mais en son tout premier alinéa.
Puissions-nous, renchérit l’homme de la rue, de temps en temps lire les textes qui nous régissent avant de nous de présenter nous-mêmes en instructeurs des masses citoyennes! Qu’énonce donc à ce sujet la Constitution?
«Le Président de la République adresse des messages à la nation. Il communique avec les Chambres du Parlement par des messages qu’il lit ou fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat. Il prononce, une fois l’an, devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès, un discours sur l’état de la nation. »
Ailleurs, ont ajouté les Sages, aux Etats-Unis notamment, l’on parle volontiers de discours sur l’état de l’Union, de sorte qu’il ne peut ni se focaliser sur un des Etats fédérés, ni sur un citoyen lambda quel qu’il soit, ni surtout pas sur son auteur, au risque de ne plus mériter son nom de discours sur l’état de l’Union.
Sur les terres de l’Oncle Sam, le discours sur l’état de l’Union comporte des recommandations à l’intention du législateur. Aussi est-elle lue en présence des législateurs des deux Chambres. Car l’article 2 de la Section 3 de la Constitution américaine dit que «le Président informera le Congrès, de temps à autre, de l’état de l’Union, et recommandera à son attention telles mesures qu’il estimera nécessaires et expédientes. »
Comme le Président des Etats Unis ne peut entrer au Congrès sans sa permission explicite, c’est pour lui une occasion exceptionnelle de lui adresser directement un discours chaque année.
Le discours, introduit par la voix du Sergeant at Arms, décrit de façon traditionnelle les accomplissements des administrations sur l’année précédente et présente l’agenda de l’année à venir.
Soit dit en passant, aux Etats Unis l’on ne confond pas le discours sur l’état de l’Union avec le discours sur l’état de l’Etat. Ce dernier étant un discours habituellement donnée chaque année par les gouverneurs de la majorité des Etats fédérés des Etats Unis. Certains Maires de ce pays organisent aussi, à leur niveau, un discours sur l’état de la ville.
L’œil du Patriote a vu, ses oreilles en ont été instruites, il doit donc en être de même, mutatis mutandis, de nos discours sur l’état de la Nation. Fondamentalement, il appelle les législateurs à y trouver des matières pour réformer ou légiférer en vue d’un meilleur état de la nation.
Cela ressort mieux des discours des Delors, Prodi, Juncker et consorts sur l’état de l’Union européenne: il porte en ses points majeurs sur des domaines précis de la politique, de la sécurité, de l’immigration, de la lutte contre le terrorisme, de l’activité économique ou du secteur socio-culturel des orientations et recommandations à l’intention des députés européens.
La presse rapporte que parallèlement au dernier discours de Juncker sur l’état de l’union devant le Parlement européen, la Commission européenne a adopté des initiatives concrètes relatives au commerce, à l’examen sélectif des investissements, à la cyber sécurité, à l’industrie, aux données et à la démocratie, passant ainsi immédiatement de la parole aux actes.
L’expérience de l’Union européenne démontre que l’objet du discours doit emporter non pas seulement l’implication de ses destinataires, mais tout naturellement aussi l’implication personnelle de son auteur qui, en plus, jouit du pouvoir d’impulsion.
Dieu seul sait si le Président de la Commission européenne pourrait, à bon escient, user de pareille tribune pour retourner l’adresse sur ses projets d’avenir ou ses ambitions à retrouver le gazon du golf après Bruxelles!
Ici aussi, personne ne nous comprendrait qu’au sortir de pareil discours, les Chambres en viennent à légiférer sur la fin d’un mandat présidentiel, déjà fixé dans la loi fondamentale, ou, selon les vœux de certains, sur l’obligation pour l’auteur du discours de désigner à tout prix un dauphin alors que la Constitution, “en son article 75, a déjà réglé, aux conditions de la Constitution, les circonstances d’entrée en scène d’un dauphin, fût-il en réalité requin, babouin, marcassin ou lapin!
Regardez-là, sur la place publique, sur les médias et les réseaux de tous genres, quelques-uns de nos frères et sœurs du Nord et de l’Est du pays y ont très clairement vu les mots d’un discours bilan porteur d’espoir, un discours de forte affirmation de notre indépendance politique acquise au prix du sang rappelant les hauts faits des Kimbangu, Lumumba et le M’zee Kabila, un discours construit sur l’éclat des services et sacrifices rendus pour le bienfait et le progrès de la Nation: c’est une façon de juger! On est en démocratie!
Regardez aussi de l’autre côté : quelques-uns de nos frères et sœurs du Centre et de l’O es du pays n’y ont perçu, pour leur part, qu’un message d’autosatisfaction en déphasage avec les réalités du pays; ils y ont vu un message non axé sur les a e es populaires, en contradiction avec la passion déclarée pour le Congo. C’est une autre façon de juger! On est en démocratie !
Mais la libre expression et diffusion de ces différents sons de cloches, concluent les Sages, ne témoigne-t- elle pas, par elle-même, autant d’un espace démocratique large et effectif que du dynamisme de notre jeune démocratie?
D’ailleurs, n’y-a-t-il pas d’autres groupes de compatriotes du dedans comme du dehors qui ont lu dans le discours les termes d’un discours d’adieu ou même de continuité dans l’alternance? C’est leur point de vue, la démocratie le respecte!
Qu’il y ait cependant, dans ce même contexte, des politiciens opportunistes reconnus largement comptables du bilan qu’ils se complaisent aujourd’hui à décrier tout en faisant fi de la mémoire collective;
Des opportunistes qui, délaissant les sujets essentiels du discours sur l’état de la Nation, se sont encouragés les uns les autres, dans le plus grand pays francophone du monde, à se rendre à un lieu de culte, non pas pour adorer le Créateur, mais pour se faire bonne conscience de servir la Nation en publiant une déclaration commune en bonne et due forme, en tout et pour tout centrée sur un simple point de digression ayant précédé le discours sur l’état de la Nation;
Autrement dit sur un concept aux cent visages trouvé dans l’expression, nous citons « avoir de la passion pour le Congo », fin de citation, encore que celle-ci, non employée ex nihilo, soit intervenue en plaçant l’auditeur, quel qu’il soit, dans le contexte de l’Ancêtre qui avait dit un jour: « Comprenez mon émotion ! ».
Pour ceux d’entre eux qui sont Sénateurs ou Députés nationaux, le temps court déjà! Malgré les critiques sur un point de digression, la qualité de représentant du peuple les oblige à puiser dans le discours les recommandations du Chef de l’exécutif sur des matières susceptibles d’appeler une œuvre de législation. C’est ça aussi le devoir d’Etat. C’est ça aussi faire preuve de maturité politique!
Hélas! Pour eux, jusque-là point de critique sur la gouvernance, sur l’amélioration du climat des affaires, sur les mérites et les faiblesses des 5 chantiers de la République, point de critique sur les opérations de maintien de la paix et la sécurité intérieure, point de critique sur le processus électoral en cours et la loi de l’alternance par les urnes, seul valant à leurs yeux comme cheval de bataille en passe de devenir cheval de Troie, le vieux principe « Ôte-toi de là pour que je m’y mette! »
Au Citoyen Lambda de conclure: de la passion du Christ, à l’addiction pour le fruit de la passion, de ce fruit comestible de l’espèce des passiflores, il n’y a pas qu’un pas. Loin s’en faut! Entre les deux, l’on trouve bien des variantes, jusque dans les genres de la peinture ou de la musique.
Si au jardin il ne sort point de jus d’orange du fruit de la passion, au Palais de justice l’on attend point d’un réquisitoire le prononcé d’une sentence. Si d’un discours de politique générale l’on n’attend pas les termes d’une partition musicale, l’on n’attend pas non plus d’un discours sur l’état de la nation des allusions centrales sur la carrière d’un individu, fût-il l’incarnation d’une institution constitutionnelle.
Passion est vice ou qualité en fait de débat ou en fait de sentiment. Passion est vertu dans le cœur l’homme d’Etat épris de sa patrie; elle est vice pour le politicien machiavélique qui en use dans les débats comme d’une huile d’onction non odoriférante, à chacun d’en juger, pourvu qu’on ne blesse les sensibilités du bon usage de la langue.
Parole du Patriote dans la bouche du citoyen Lambda